Clé des champs
Chasse 1. (V. 1175). Action de chasser, de poursuivre les animaux (voir gibier) pour les attraper ou les tuer, afin de les manger, de les détruire ou par goût sportif.(le Robert)
De captare : capter, attraper
« Mais
tant qu'ils s'aim'ront, tant que les nuages
Porteurs de chagrins, les épargneront
Il f'ra bon voler dans les frais bocages
Ils f'ront pas la chasse aux papillons »
Georges Brassens
Ouverture de la chasse. Prédateurs en nombre, arborant le treillis, le fusil et la gibecière. Battre la campagne à coups de bâton, en guise d’appui, oui mais l’ensanglanter à coups de chevrotine, pourquoi ? Pourquoi faut-il, à chaque mois de septembre, à l’heure où Dame Nature se pare de ses mille couleurs, de ses plus beaux atours, qu’un sang pur abreuve nos sillons ? Marcher la tête haute et ouvrir les yeux dans le profond du ciel, folâtrer et boire le silence, musarder et flairer l’odeur des foins et de l’églantier, flâner et être touché par la prouesse d’un vol, par la grâce d’un bond furtif au travers des herbes folles, marcher à l’unisson au bras de sa compagne ne suffirait pas à la joie… Il faudrait y ajouter la traque, l’affût, et la détente enfin, la jouissance : l’éclat-blessure dans la flore des bêtes, l’éclaboussure écarlate dans le ventre fourmillant de la terre. Depuis des décennies, je retourne la question dans tous les sens et je ne comprends toujours pas.
Les lapins se terrent. Le canon reste silencieux au lieu-dit « Les petites croix ». Pas de chair fraîche à l’horizon. Mais à dix-sept heures et une minute, plus précis qu’un fonctionnaire, fort de son horloge interne un rongeur pointe le bout du museau hors de sa galerie, hume l’air, tend l’oreille et s’aventure enfin entre les repousses de lin. La journée enfin commence, hors de la tanière. Galipettes et plat du jour : salade de pissenlit et trèfles à quatre feuilles. La vie est belle. La nature a des parfums d’automne. Dimanche 25 septembre, premier jour de résistance.
Les bottes, je ne suis pas contre, bien au contraire, notre terre est lourde et grasse, parfois même impropre à l’exploitation, alors fleurissent encore les bois parasol et les bouquets d’ombelles : bois du Ham, bois des Ombres, bois d’Anelle (un jour, je vous parlerai de la belle Anelle et de son prince Ménélas), friches et jachères fécondes et lumineuses… Le plomb dans l’aile, le doux duvet de la palombe, non merci.
Deuxième week-end de chasse au chevreuil, au sanglier, au lièvre, à la poule faisane et à la perdrix, au gibier pour simplifier. Tant pis pour eux. C’est la loi du plus fort. Chasse et traditions. Pouvoir.
Battue sur le champ en face de ma fenêtre. Emma se lave dans la salle de bains. Transparence des lieux.
(Il n’est pas question d’exhibitionnisme. Seuls, jusqu’ici, les lièvres et chevreuils avaient un droit de regard innocent sur notre baie et nos parties intimes sans protection Dorénavant, en temps de chasse, nous prévoirons un store d’étoffe ou de bambou pour filtrer les regards importuns et lubriques…) Je les soupçonne à l’instant du savonnage de se rincer l’œil tout en maintenant un doigt fébrile sur la gâchette. Courent-ils deux lièvres à la fois ? Dès que mon épouse abluée et parfumée revêt son pagne, les hommes repus rebroussent chemin. Et qui voyons-nous sortir ? Un lapin. L’insolent sort trop tôt. Le prédateur est au bout du sillon. Son chien bave et l’homme trépigne et met en joue. Un coup, deux coups. L’animal prend la poudre d’escampette en louvoyant vers son antre. Trois coups…La bête s’enfonce dans le maïs, elle est hors d’atteinte des balles. Echapper maintenant au chien qui pénètre dans la forêt d’épis, c’est un jeu de lapin. Le lourd basset écumant, enfermé toute l’année dans son chenil ou enchaîné à sa niche, abandonne rapidement la poursuite : la course est inégale entre le fier sauvage et le domestique lourdaud attaché au service rampant du maître bedonnant. Dimanche 2 octobre, deuxième dimanche de résistance. C’est la fête, underground ! Pardon pour l’anglicisme…
Dimanche 9 octobre
Personne ce matin dans le champ. Pluie et vent qui frise les cent kilomètres à l’heure, défrise les permanentes et les envies d’en découdre avec le gibier. Dix-huit heures, le soleil rougeâtre apparaît. La tempête comme un enfant turbulent gagné par la lassitude, s’est enfin endormie. Partout dans le champ, des lapins tels des bourgeons d’énergie éclosent. Derrière leurs rideaux, les chasseurs grondent et lancent des éclairs. Troisième dimanche de résistance. Dans la gente lapine aucune perte n’est à déplorer.
Jeudi 25 mars
Plusieurs mois se sont écoulés depuis les hostilités d’automne. C’est la trêve. Dans le champ de bataille, on reconstitue ses forces. L’hiver a lancé à l’aube ses dernières blanches escarmouches. De jeunes pousses effrontées percent la terre encore engourdie. Trois lapereaux poil de carotte sont nés et s’ébattent dans le champ de blé qui a succédé au lin. Enfants naturels de Jeannot le chaud lapin qui fait la grasse matinée parmi les mille feuilles craquants et sucrés de la prairie. D’un œil paternel et complice, il observe sa progéniture qui joue au jeu du lapin et du chasseur, jeu éducatif traditionnel, et c’est Jeannot junior qui joue le rôle de prédateur (mais c’est pour rire et pour survivre l’automne prochain) : galipettes, courses, sauts de haies et de fossés. Papa Jeannot est fier : voilà plusieurs générations que la famille a échappé à la poudre. Et ce n’est pas encore demain qu’ils finiront à la moutarde ou en pâté…
PS : Si vous êtes chasseur ou Diane chasseresse, si parité s’en flatte, prenez ce texte avec humour et soignez-vous. Moi-même, je ne suis pas fier d’être encore carnivore et, à l’occasion, mangeur de lapins…