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Echappées.belles
28 novembre 2010

Manifestation insolite (humour)

Ce court texte a été écrit en avril dernier, mais il reste de saison. Je le dédie à tous les crapauds et grenouilles du monde dit civilisé ainsi qu’à tous les animaux de notre terre encore vivante dont le destin est soumis au bon et mauvais vouloir des humains. Je lance un clin d’œil complice et fraternel à tous les hérissons dont les pics de mortalité cumulent sur les routes du coucher au lever du soleil. Le chat subit également le même sort, et de voir un chat écrasé dans la rubrique des faits divers nous donne la chair de poule mais le sort du félin est plus enviable que celui de notre petit insectivore, car il profite du gîte et du couvert chez l’habitant et le vagabondage de nuit est un luxe de chasseur repu et nanti. Et puis au jeu cruel du chat et de la souris, tant pis pour lui si de temps à autre il se fait prendre à son propre piège, la prédatrice étant ici l’automobile.

 

Aujourd’hui, en solidarité avec les crapauds et autres rainettes dont c’est la période des amours, des coassements à n’en plus finir et de tous les dangers sur les routes, j’ai réalisé une opération escargot avec ma compagne Roselyne. Mais pourquoi, comme les humains, n’étalent-ils, avec un peu plus de retenue et de pudeur, (mais de l’actualité de ce sentiment, on pourrait longuement discuter) leurs ébats sur toute l’année, à raison d’une à deux fois par semaine ? (Ah, pardon cher lecteur, vous n’êtes pas dans cette fourchette-là ? une à deux fois par mois, me soufflez-vous à l’oreille ? non, non, ne vous mésestimez pas… ah ce n’est pas votre tasse de thé ! pardon encore d’avoir interrogé aussi crûment votre libido. Moi qui parlais à l’instant de retenue et de pudeur… je suis inqualifiable !) Pourquoi donc cette marée soudaine et éphémère de batraciens en rut se déverse-t-elle sur les routes et chemins telle une éléphantesque transhumance (bof !), leur code leur interdit-il d’étaler leur petite affaire dans leur temps ? Toujours est-il que, par millions, le printemps venu, nos chères petites têtes brunes, rousses ou vertes empruntent les routes à la tombée du jour et vont rejoindre leur mare, leur point d’eau, leur flaque. En longues processions, elles coassent, elles vocalisent en chœur. Pourtant elles n’appartiennent pas à la famille bigote et caquetante des grenouilles de bénitiers. Elles n’ont pas fait vœu de chasteté.  Quand elles passent telles une grandiose fanfare devant notre maison, pour rejoindre la mare de Raoul, mon épouse et moi, nous en restons coi !

 

Mais revenons à l’opération dite escargot avec Roselyne. Roselyne est une jument rousse qui flirte avec les huit cents kilos. Ensemble, nous empruntons un axe passant, à sens unique et déambulons pendant plus d’une heure. Une sorte de manifestation couleur nature. D’une main je tiens les rennes, de l’autre une pancarte sur laquelle j’ai écrit en gros caractère : 

 NON, NON, NON,

 VOUS N’AUREZ PAS LA PEAU

 DES REINETTES !

Je me rends compte après coup que j’ai fait une faute d’orthographe et que mon «écriteau prête à confusion. Je dois dire à ma décharge que je ne suis pas allé longtemps à l’école et que je suis salement fâché avec l’ortografe.

Vous comprenez que certaines personnes présentes sur le parcours cherchent à éclaircir le sens de ma démarche et me demandent :

- Je ne comprends pas, mon brave, tout ce tapage pour la peau d’une pomme ! Vous vous fichez de notre poire ! Bloquer la circulation à une heure de pointe pour la retraite à soixante ans, oui, mais pour des prunes, vous êtes bougrement gonflé.

- Mais non, j’ai fait une petite erreur, je voulais dire rainette, la grenouille !

- Faut retourner à l’école apprendre le b a ba, vous n’êtes pas en âge de manifester !

- Quel âge me donnez-vous donc ?

- Intellectuellement pas plus de huit ans, monsieur !

Heureusement c’est une réaction isolée, d’un instituteur en retraite sans doute. Je n’ai pas voulu mettre de l’huile sur le feu en rajoutant que l’ortografe est la science des ânes, par respect pour les ânes et tous les équidés. Et Roselyne acquiesce en hennissant.  Sur son train arrière, j’ai apposé une autre pancarte, visible par les automobilistes qui suivent. Ma jument n’apprécie que modérément, jugeant que ce panneau d’affichage à l’endroit de la queue porte atteinte à sa liberté d’aller… à la selle. Le comble pour un canasson ! J’ai écrit :

 CRAPAUDS HERISSONS RAGONDINS

 MÊME COMBAT

Là aussi l’inscription fait polémique. Certains sont d’accord pour la défense des hérissons, d’aucun pour celle des crapauds, d’autres pour la préservation des crapauds et des hérissons. Mais beaucoup ne veulent pas entendre parler des ragondins, prétextant que ces bestioles envahissantes sont d’origine étrangère, et qu’on a bien assez avec nos rats cailles, de bibliothèque, d’église et d’opéra…

Je me mets en colère en disant que c’est ma manifestation et que s’ils ont d’autres revendications, qu’ils les affichent eux-mêmes. Alors sur le capot des automobiles, sur le guidon des bicyclettes, dans les mains des piétons on voit fleurir toutes sortes d’annonces, plus ou moins saugrenues, mais toutes en rapport avec la gent animale :

 A bas les maquereaux !

 Mort aux vaches

 On nous prend pour des veaux !

 Des sous ! Marre d’être les dindons !

 Banquiers requins

(Et même !) Chiraquiens têtes de chiens ! (Ce que je désapprouve très mollement)

Je sens confusément que la manifestation prend une tournure nettement politique, voire polémique, ce qui n’est pas pour me déplaire. De toutes manières, je me pavane en tête de cortège avec Roselyne un brin caractérielle, car pour me faire c…, elle a déjà tâché ma pancarte,  et je défends d’abord la cause des crapauds, des hérissons, mais aussi, ne l’oublions pas des ragondins. Non, ils ne seront pas les bannis de l’histoire !

 

Au début, les automobilistes, rangés derrière, rongent leurs freins, voient rouges quand le feu est vert, vocifèrent et puis peu à peu les klaxons rageurs se taisent, et tous, dans un bel élan collectif se branchent sur France Musique, station populaire sur laquelle on joue « la marche de l’empereur » autre nom (régional) d’un papillon diurne, menacé comme l’abeille par les insecticides.

 

Pour limiter l’effet de serre, seule une voiture sur dix, au gaz ou hybride, tel le mulet, fils naturel de l’âne et de la jument (beurk ! fait Roselyne, manquant de tolérance) entraîne toutes les autres dans une manifestation pacifique. Curieux cortège. De chaque côté de la chaussée, des riverains nous font une haie d’honneur. Ils applaudissent, encouragent, crient « vive les crapauds. Laissez-les copuler en paix. Vive le front de libération des batraciens. » D’autres paroles sont plus douteuses « A bas les grenouilles de bénitiers ! » Je n’approuve pas, les grenouilles, partout où il y a de l’eau, sont les bienvenues. Des éleveurs bien élevés tendent à Roselyne des bottes de foin, des poignées d’avoine, et à moi un peu de blé, pour ma  nouvelle fondation (FLDB : front de libération des batraciens)

 

La maréchaussée est néanmoins avertie par un homme excédé, dont le métier est de faire du chiffre, du chiffre encore, rien que du chiffre. Cet individu, je le plains, plus que je ne le blâme, car il ne parle qu’en chiffres, il considère la lettre, les belles lettres, comme langue étrangère. C’est un trader ou un actionnaire, sans doute.

- 0, dit-il, en me montrant du doigt et c’est son seul argument. 1 000 000 000 000, ajoute-t-il. Je comprends qu’il s’agit de sa pomme.

Sorti de sa bulle financière, il ne sait pas communiquer. Il est autiste et malheureux de surcroît. A son thérapeute qui le suit, un jour il a dit : « pa-pa ! » Peut-être ce seul mot lui évitera les affres de la prison. Mais tous ces chiffres en négatif le poursuivent comme des casseroles.

Les gens d’armes arrivent, sirènes hurlantes, entassés dans trois fourgons blindés. Le chef me fait signe de me ranger. Il se gratte la tête, l’affaire est inédite. Par solidarité, les automobilistes font taire les moteurs.

- Vous allez circuler, monsieur l’empêcheur de laisser rouler les mécaniques, et plus vite que ça ! Exécution !

- Mais c’est ce que je fais, monsieur l’adjudant, et la chaussée, jusqu’à nouvel ordre municipal, n’est pas interdite aux équidés. Je n’ai vu aucun panneau allant dans ce sens.

- Monsieur le contrevenant, vous faites du zèle, je vais verbaliser…

- C’est ce que vous faites, monsieur l’adjudant, depuis votre arrivée, vous verbalisez, vous parlez, vous palabrez, vous…

- Silence ! Entrave à la circulation. Salissures sur la chaussée. Montrez-moi vos papiers et ceux de votre compagne à crinière

- Je ne les ai pas monsieur l’adjudant, et ma compagne est une boulonnaise pur sang, mais elle n’a pas de pièce d’identité.

- Alors, tous les deux au poste !

Le cortège s’étoffe alors des estafettes de la maréchaussée, qui prend la direction de la manifestation. Jusqu’au chef-lieu, c’est un concert de chants et de klaxons.

 

Jamais on ne connut dans le canton pareil succès lors d’une marche de protestation. Deux cent cinquante-trois selon les mécontents. Deux cent soixante-dix-sept contestataires selon la police qui en sus ajouta les hommes de l’escadron.

 

 

 

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