Vive la vie nomade (8)

  Déjeuner sur l’herbe

«  Le vœu de Valéry : faire de la poésie le paradis du langage. »

A même la terre fraîche et odorante, sous un bouquet d’arbres, nous déjeunons sur l’herbe. La nappe est dépliée parmi les fleurs sauvages et les fougères. Mi ombre mi soleil. Le vent léger chahute les volants verts de ta robe et froisse le silence. Le bonheur a quelque chose à voir avec les vagues vertes et caressantes des chênes, l’œil rond du soleil au zénith qui darde sans violence ses aiguillons entre les branches et la dînette légère sous les parasols bruissants. A portée de main, un bourdon furète dans un calice doré. Au dessus de nous, les feuilles dentelées des charmes forment un tapis céleste. Une faune à peine identifiée folâtre : papillons, abeilles solitaires, libellules et pollen enfin folâtrant dans l’air. Un rapace, plus haut, dans le bleu pur du ciel, dessine des arabesques.

Heure légère comme le ramage de l’érable champêtre. Heure enchantée ! Minéral, végétal, animal, le monde est un grand livre ouvert, enluminé...

A nos yeux ravis, quelles lignes d’horizon, quelles courbes et quelles couleurs ! Quel souffle enfin ! Nous en sommes les lecteurs voyeurs émerveillés. Personnages aussi dans ce grand théâtre vivant, intrus discrets, humains infimes, immobiles, sous le charme…Et nous fermons les yeux, bercés par la petite musique de la brise embaumée chatouillant l’équilibre fragile, l’harmonie précaire.

Éclipse. Nos corps, souches secrètes, reposent sur un tapis d’herbes d’or. Le monde évanescent déroule une musique lointaine. La terre exhale des parfums vaporeux. L’instant est délicieux.