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Echappées.belles
11 janvier 2011

Un bain de délices

 Ce n’est pas la première fois que je me rends à la piscine. Pourtant à chaque plongée dans cet univers de moiteur, de vapeurs enivrantes et d’eau, le charme opère. Bien sûr le décor est toujours le même : les cabines, le bassin, les balcons suspendus, ces vagues convulsives de cris enfantins, ces personnages ruisselants et immobiles, d’une blancheur d’albâtre, assis sur le bord, se reflétant dans le miroir de l’onde, et ces corps papillonnants d’un lieu à l’autre, à la recherche d’une légitime et vitale aspiration et j’oubliais, les gardiens des lieux, aux gestes avares, le regard sévère, à l’affût de la moindre incartade des visiteurs.

 

Je ne suis non plus un habitué, je n’ai pas de carte d’abonné et je me promets chaque fois, en refermant la porte de cet endroit bienfaisant et enchanteur de le fréquenter plus souvent. Permettez-moi, avant d’en parler à loisir et de vous inviter à y faire un saut, et même davantage, de l’identifier et de le localiser précisément : il s’agit de la Piscine de Roubaix.

 

Ici, l’eau en partie s’est retirée comme après une marée, reste une étendue paisible, dormante et peu profonde, désertée de ses baigneurs bouillonnants, sur la plage de mosaïque demeurent leurs doubles méconnaissables, alanguis, pétrifiés. Courez-y pour l’édifice, son harmonie intérieure, son élégance et toutes ses fioritures. D’entrée, l’œil en un regard circulaire est pris aux pièges raffinés de la séduction.

 

Par ses deux imposantes verrières du soleil levant et du soleil couchant, laissant entrer par des vitraux en éventail une lumière diaphane, par la magie des éclairages, l’atmosphère est donnée : douceur, recueillement et intimité. Sous les pieds, parquets et mosaïques, se marient, soufflant le chaud et le froid, alliant la sobriété et l’éclat. On passe sous une porte monumentale aux formes alambiquées mêlant lignes droites, courbes et contorsions. Perchés tout en haut des diables de plâtre semblent s’être échappés du chœur de l’ancienne abbaye cistercienne. A l’étage, des balcons rectilignes donnent accès aux cabines de douches, et plus haut encore, d’autres avancées en encorbellement permettait au voyeur de prendre de la hauteur. Magnifique agencement. Il me vient l’image de la médina, un de ces édifices somptueux cachés derrière les remparts de pierre au creux des vieilles cités du Maghreb. Ici également la beauté ne s’affiche pas, il faut s’aventurer par delà la muraille de briques pour ressentir la majesté, la magnificence du lieu.

 

Courez-y, vous dis-je, prenez une longue respiration et déambulez sans précipitation parmi le fonds permanent et, cerises sur le gâteau, flânez, pupille dilatée, au milieu des expositions temporaires. En l’occurrence, nous avons rencontré Degas et ses filles, danseuses dans tous leurs états et arabesques. J’ai revu nos blondes jumelles en tutu à six ans – oh douce souvenance- faisant, sur un air de Brahms, leurs premiers pas gracieux sur la pointe de leurs ballerines roses et pour finir, à leurs admirateurs, la belle révérence.

 

Autre cerise : jaillissement, éjaculation de rouges, fulgurances de jaunes, feu d’artifice de couleurs, sur des carrés de bois assemblés et suspendus au dessus de l’eau, un décor luxuriant à construire et à déconstruire, prodiguant à l’élément liquide une mystérieuse profondeur : cascades de feuillages, torrents de lumières et d’ombres, pans d’azur, manteaux de brume, gerbes d’étincelles, aphrodites et monstres troglodytes. Un gigantesque fatras s’organisant et se détricotant sous l’œil ébloui.  

 

Et puis cette promenade au bord de l’eau nous permet de côtoyer maintes belles dames de plâtre, de marbre ou de pierre, aux formes avantageuses : des saintes, des femmes légères, une belle au chignon offrant sa jambe au bain, une autre s’amusant avec son enfant, et puis les vertueuses symbolisant l’amour maternel, la douleur ou l’espérance. Des aphrodites, des baigneuses jouent les coquettes dans le miroir de l’eau ; Côte à côte, et si bien entourés, Haendel et Lully trouvent l’inspiration. Un peu à l’écart, dans l’ombre des deux maîtres de chapelle, d’improbables roturiers, semeurs, bûcherons viennent prendre la pause. Belles rencontre et éclectiques rapprochements. Les siècles se croisent sans heurts, harmonieusement, Bruno Desplanques nous offrant son regard d’enfant ivre de lumière et de couleurs, par ses fresques impressionnantes.

 

Et par intermittences, notre déambulation silencieuse et méditative est interrompue sans ménagement. On nous rappelle, alors que nous sommes plongés dans le recueillement, dans les méandres vaporeux de notre imaginaire, à la réalité des lieux d’origine : nous sommes à la belle Epoque, dans les années trente, dans un lieu d’ébats, d’éclaboussures et les cris stridents d’enfants heureux s’ébrouant hors de l’eau retentissent et percent nos tympans.

 

Et pour finir ou pour commencer, les sculptures de Degas sont exposées sans retenue, personnages de cire,  coulés dans le bronze par le fondeur Hébrard, représentant des danseuses, des nus, et aussi des chevaux taillés pour l’exploit. Et je ressens comme un vertige à la vue de toutes ces formes féminines en équilibre, figées dans leur beauté plastique. J’imagine l’œil et la main de l’artiste dessinant et moulant à l’infini ces corps dans une recherche fébrile, rageuse de la justesse du mouvement. J’imagine également ce qu’il a fallu de rigueur, de discipline, de renoncements, de larmes, de souffrance et de joie à la danseuse pour atteindre la grâce, la plénitude de son art : devant nous, comme une apothéose à ce cheminement riche d’émotions, se dresse une petite danseuse de quatorze ans en tutu de tulle, au délicat ruban de satin enserrant sa longue tresse et qui semble nous dire effrontément en bombant le torse :

- Regardez-moi, voyez comme mon corps exprime l’énergie et la grâce, voyez comme il se prête à merveille à toutes les prouesses, à toutes les arabesques.

Et nous, dans nos manières empesées, demeurons longtemps sous le charme naturel de la belle demoiselle.

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