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Echappées.belles
30 novembre 2010

Neige

   Neige
 « Dans la paume du soleil elle brille un instant et tombe

A peine a-t-elle un corps à peine un poids un nom

Et déjà elle couvre tout de son corps de neige

De son poids de lumière et de son nom sans nombre ».

 Octavio PAZ(Liberté sur paroles, condition de nuages)

 

 J’ouvre ma porte. Merveille ! Il neige ! La terre dénudée, frigorifiée s’est habillée d’une épaisse couverture ouatée. En un tour de main ensorcelée, j’enfile mes bottes de sept lieues, j’endosse ma longue cape de velours d’un autre âge, j’ajuste mon passe-montagne et mes chaudes mitaines. Me voilà paré pour l’échappée bucolique.

Aux confins du nouveau monde, je pars. Finis les chemins battus. A moi les voies royales ! Un tapis infini se déroule à mes pieds. Léger et libre comme l’air, loin des pesanteurs des tâches ordinaires, je caracole par dessus les prairies et champs effacés, tel le peintre ivre de beauté devant la toile vierge, je vais imprimer ma trace folâtre sur l’incommensurable page blanche.

 

Contrairement à la pluie qui s’impose contre la vitre, qui  martèle les toits et bat le pavé, la neige effleure, glisse, silencieuse, douce et feutrée ; elle se pose gracile, délicate, après un lent tournis, un aléatoire voyage à travers les airs, comme une caresse, une céleste offrande à la terre, elle s’immisce et se love, furtive, telle une effluve duveteuse dans les moindres pliures, ainsi qu’une nuée de plumules sous les plus étroites coutures.

 

La pluie, le plus souvent, prend le chemin le plus court, vertical, voie rapide. Elle parvient au plus vite au ras du sol. Et quand, furieuse, elle croise un intrus, enfant chétif revenant de l’école, ou vieillard à la démarche incertaine, elle le gifle et le cingle cruellement. La pluie est une brute froide. Au sol, elle se disperse en rigoles boueuses ou s’infiltre, parfois s’enfle et déborde sans retenue, intempestive, monstrueuse, engloutissant hommes et biens sur son passage.

 

La pluie est courante, prosaïque, la neige vagabonde nomade, bohémienne. Elle est un délicieux poème, une aubade aérienne, une guirlande de flocons papillonnants, une volute de touffes soyeuses qui ensemencent les vergers et les prairies, les méandres et les courbes de nos paysages indolents et les fécondent de papillotes volages. Combien de fleurs dans leur robe de soie, à la beauté sauvage, se pavaneront demain, sans mémoire, indifférentes à la belle et vitale passagère.

La neige aime la paresse et les détours, danse, voltige comme un essaim de chatons de saule et se repose enfin, se confondant, formant un immense cocon paisible, tapissant les prés, les champs dépouillés et les squares désertés, peignant une immense fresque intacte qui se déroule aux pieds et au regard ravis du premier venu.

 

La neige généreuse aime se disséminer, se répandre, s’abandonner. Par touches successives, elle crée des formes pures, gracieuses. La carcasse de l’automobile abandonnée, le hangar de béton terne, la grille maculée de rouille, les ossatures de fer désarticulées, le chêne foudroyé deviennent par la magie des flocons des œuvres d’art, des sculptures aux tournures pleines et achevées.

 

Devant moi apparaît un toit de chaume immaculé à la place de la vulgaire tôle ondulée ; la maisonnette laisse échapper par volutes distraites une doucereuse et apaisante fumée. Dans l’enclos, les plantes hier encore fanées, flétries se sont métamorphosées en fleurs de lys. Les immondices ont disparu sous la couette ouatée. Un peintre naïf a ébauché les contours d’une carriole. Quelques fagots figés, squelettes blanchis, fantômes sans chaînes s’animeront à la tombée de la nuit et danseront dans le jardin d’hiver. Sous la gouttière au long cou ébouriffé un fût a recueilli, en un autre temps, toutes les larmes du ciel. Sur la vieille barrique rajeunie, une pie échevelée se coiffe et se mire dans la glace. Ce soir, elle sera belle au bal des oiseaux sédentaires.

 

Je continue mon cheminement à travers la plaine. Mais suis-je encore en plaine ? Le soleil perce à travers la voûte qui s’éclaircit, les yeux me brûlent, la neige et la brume à même le sol ont des reflets jaune pâle, teintes douces et claires, pastel. La ligne d’horizon se dissipe. Au loin, entre ciel et terre, les frontières s’effritent, une chaîne de montagne se dessine grandiose. Je suis poussière dans un décor de rêve. Ebloui, j’imprime mon empreinte éphémère dans ce champ infini des possibles. Sur ce tapis à perte de vue qui appartient à l’effronté qui le foule, espace sans bornes, univers sans clôtures ni frontières, mes pas chantent la liberté. Ils s’enfoncent, jubilatoires dans la poudreuse craquante.

 

La haie est en dentelle, l’aubépine en robe de flanelle, l’arbre fringant affiche ses fleurs. Entre deux menus bras brindilles tendues, devant moi, prise au piège sans douleur de mon œil, danse une araignée sur sa toile étoile, réseau de fils blanchis, ténus, filandres raffinés, aériens ; l’animal est artiste jusqu’au bout de ses pattes velues, pinceaux véloces et la neige, fine mouche a succombé au charme piège. Image forte, je m’arrête et m’accroupis : à travers l’exquise arantèle, les cieux moutonneux se prélassent. Je me relève enfin et recule, à pas de velours, respectueux de ces gracieux accords.

 

 

 

Je traverse prestement la grand-route. Le sel, à larges brassées, a été déversé, corrosif, dévastateur d’enfantins enchantements. Les automobilistes intempestifs ont taché et dénaturé la poudre vierge, à présent fiel visqueux et putride, maculé, boue toxique. L’homme moderne, pressé, avide de commerce et d’artifices, abhorre ces infinités blanches, sauvages, incultes, il y perd ses repères.

 

Je replonge aussitôt dans le nouveau monde, des cavaliers sont passés par là, le cheval a laissé de paisibles moulages. Des promeneurs enneigés et ravis viennent à ma rencontre, les liens sont fraternels, le chien halète, effréné, langue pendante, il a parcouru des mille. Au loin, dans le village repeint, les enfants s’ébrouent, ils ont fui les cadrans, retrouvé les jeux ancestraux, les batailles rangées. Les voilà, gamins et grands à l’unisson, qui roulent une boule insensée, le corps du bonhomme est en mouvement. Les cris fusent cristallins, les rires pétillent dans l’air, les énergies longtemps somnolentes se raniment.

 

Parfois, au détour d’un matin d’hiver, sur un chemin de traverse, brillent à nouveau, dans les yeux enchantés des hommes, les lueurs chatoyantes de l’enfance.

 

 

 

 

 

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